Notre cher collègue hongrois, Károly Méhes, a rencontré, pendant près d’une heure le week-end dernier à Imola, Joann Villeneuve, la veuve du grand Gilles Villeneuve.
Méhes a récemment publié un très bon ouvrage de 192 pages sur la carrière de Gilles Villeneuve, intitulé « Gilles Villeneuve – His untold life from Berthierville to Zolder ». Lors d’une cérémonie tenue en hommage à Gilles Villeneuve, décédé le 8 mai 1982, Méhes a discuté avec Joann à l’Hôtel Olympia à Imola.
Q: Quelle impression avez-vous à revenir ici à Imola ? Joann Villeneuve: « Je dois avouer que c’est réconfortant. Trente-trois années ont passé depuis son décès, et je sens qu’il est encore beaucoup aimé ici. Il y a des gens qui l’adorent, même s’ils ne l’ont jamais vu courir. Cette visite me donne aussi la chance de revoir les membres de l’ancienne famille Ferrari comme Mauro Forghieri, Brenda Vernor, les mécanos de Gilles et des bons amis journalistes. Tout le monde est ici ». Q: Gilles a disputé sa dernière course à Imola. Quels sont vos souvenirs de ce week-end ? D’après ce que vous savez, y avait-il finalement un accord entre lui et Didier Pironi ? « Oui, je peux le confirmer. Il y avait bel et bien un accord. Il n’y avait que 14 voitures au départ et Imola était un tracé très pénalisant sur la consommation de carburant. Il était crucial pour Ferrari de voir ses deux voitures terminer la course afin de ne pas décevoir les fans. Ils [Gilles et Didier] avaient convenu que celui qui serait en tête à la mi-course resterait devant jusqu’à la fin. Gilles s’y est tenu, mais pas Didier. Je le sais trop bien. Je tenais le tour-par-tour et je me souviens que les chronos de Didier étaient beaucoup plus rapides que ceux de Gilles. À cette époque, il n’y avait pas de radio pour passer des consignes aux pilotes ». Q: Tout le monde se souvient que Gilles était furieux sur le podium. Voulait-il quitter Ferrari à ce moment-là ? « Ce jour-là et le suivant, oui ! Mais il était très émotif. Il désirait plus que tout de gagner cette course, et il avait toutes les chances d’y arriver. Il s’est calmé quelques jours plus tard. Gilles n’était pas un type rancunier ou qui voulait se venger. Par contre, je l’ai bien entendu dire qu’il n’adresserait plus jamais la parole à Didier. Qui sait comment les choses auraient évolué ? Je crois que la situation se serait arrangée. Mais le temps a manqué ». Q: Comment qualifieriez-vous leur relation ? Étaient-ils amis ? « Didier a affirmé à beaucoup de gens que lui et Gilles étaient amis. Mais quelle sorte d’ami ne vous invite même pas à son mariage ? Nous n’avons pas été invités. Et ce ne fut pas une cérémonie discrète. Ce fut un événement social avec une foule d’invités. En fait, je crois que Didier ne s’est rendu compte de ce que Gilles signifiait pour l’équipe et pour lui-même qu’après son accident et son décès à Zolder ». Q: Marco Piccinini, le gérant de la Scuderia Ferrari à ce moment, a assisté au mariage et était même le garçon d’honneur de Pironi. Comment avez-vous réagi ? « Oh, oui, Piccinini… Vous savez, il est préférable que je ne dise rien à son sujet ».
Q: Puis arrive la course à Zolder. Vous étiez alors demeurée à la maison à Monaco pour préparer la première Communion de Mélanie. Samedi après-midi, vous avez reçu le terrible appel téléphonique de Jody Scheckter. Saviez-vous intuitivement qu’une catastrophe était survenue ? « Non, et je vais vous expliquer comment tout cela fonctionne. Vous devez assumer les dangers qui existent en sport automobile. C’était encore pire durant les années 70 et 80. La peur de l’accident était toujours présente, mais je tentais de la dissimuler dans une région reculée de mon cerveau. Je ne voulais pas vivre avec cela tous les jours. Ce fut la même chose quand Jacques [son fils] a fait de la course automobile. Je savais pertinemment qu’il y aurait des accidents et des moments chauds. Je les ai évités, car on ne peut pas vivre avec une telle inquiétude. Les conjointes et épouses des soldats qui sont en Iraq ou en Afghanistan vivent exactement la même chose. La mort peut survenir à tout moment ». Q: En avez-vous discuté avec Gilles. Vous a-t-il promis d’arrêter un jour ? « Promis ? (rires). Non, jamais. Je ne lui ai jamais demandé cela. Je ne pouvais pas lui dire ‘quand vas-tu arrêter ?’ Je pense qu’il voulait courir encore quelques années. Il aurait aussi peut-être eu le désir de disputer Le Mans avec Jacques [son frère]. Je ne lui ai jamais demandé d’arrêter. J’aurais préféré qu’il arrête, mais cela l’aurait profondément affecté. Gilles savait que j’avais accepté ce style de vie, et que je ne l’embêterais jamais avec ça. C’était une sorte d’accord entre nous ». Q: Lorsqu’il a commencé en F1, Gilles a eu un très gros accident au Grand Prix du Japon en 1977 qui aurait pu fort mal se terminer. Comment avez-vous vécu cela ? « Moi ? Je ne me suis rendu compte de rien. Durant les années 70, la couverture télé de la F1 était beaucoup moins sophistiquée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Gilles est revenu aux stands, nous a dit avoir dû abandonner et est allé se reposer dans le motorhome. Peu de temps après, Patrick Tambay est venu nous voir, visiblement ébranlé, en nous demandant comment se portait Gilles. Je n’avais pas idée de ce qui était arrivé. Gilles ne partageait pas ses rencontres avec le danger avec moi. Il m’en épargnait. Puis, plus tard, j’ai vu des photos de l’accident de Fuji dans des magazines. Je me suis rendu compte que ce fut un énorme crash, et que cela aurait pu mal finir pour Gilles. Je ne m’en étais pas rendu compte au moment même ».
Q : Quelle victoire fut sa favorite ? « Sa dernière de 1981. Sa victoire en Espagne fut vraiment admirable, car il n’a pas commis une seule erreur de pilotage alors qu’il avait tous ses rivaux juste derrière lui. Il a aussi adoré vaincre à Monaco. Premièrement, parce que fut la première victoire d’une Ferrari à moteur turbo, puis parce que tout le monde affirmait qu’il était impossible de faire gagner une voiture turbo sur un circuit urbain. Mais la Ferrari de 1981 n’était pas une très bonne voiture. Gagner à son volant était vraiment extraordinaire ! » Q: Plusieurs personnes ont raconté que Gilles n’était pas vraiment intéressé à remporter le championnat. Son but était d’être le plus rapide, à tous les tours. Est-ce exact ? « Non, ce n’est pas vrai ! Il réfléchissait d’une autre façon. Il disait ‘si je suis le plus rapide à tous les tours, je gagnerai la course. Et si je gagne des courses, je remporterai le championnat’. C’est pour cette raison qu’il poussait aussi fort, tour après tour ». Q: La légende entourant Gilles Villeneuve est toujours forte. Toutefois, Gilles était votre époux et le père de vos enfants. Comment conservez-vous les souvenirs ? « Après la mort de Gilles, j’ai dû prendre des décisions. Je fus, peut-on dire, très pragmatique. Je ne pouvais pas demeurer triste éternellement. Je devais m’occuper de deux jeunes enfants. C’était un gros défi. Mais Gilles est demeuré un époux et un coureur automobile. Chez moi, j’ai de nombreux souvenirs personnels de lui, comme des photos, ses trophées, comme lorsqu’il était présent. Cela n’a pas changé au cours des 33 dernières années ». Droits réservés: Károly Méhes
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