Dans une petite rue tranquille d’Auteuil dans le 16e arrondissement de Paris se trouve un magnifique bâtiment de pierre d’angle blanchâtre classé monument historique. Difficile de croire qu’à l’intérieur, on y effectue des études élaborées sur des bolides de compétition ultra modernes.
Le laboratoire aérodynamique Eiffel occupe le 67 rue Boileau depuis plus de 100 ans. Oui, un laboratoire de Gustave Eiffel, l’ingénieur de génie qui a conçu la fameuse tour métallique qui est sans contredit le symbole de Paris depuis plus d’un siècle.
Tout commence avec la construction de sa tour pour l’exposition universelle de 1889. Gustave Eiffel en obtient la licence d’exploitation pour plusieurs années. Mais à l’origine, il était prévu que la tour devait être démolie. Afin de sauver sa tour de la destruction, il doit lui trouver des usages essentiels. La tour devient une station météo, permettant ainsi d'effectuer la première série de prises de mesures météo en continu et en altitude. Puis, on y installe une antenne de TSF (haute de 312m et qui servit efficacement l’armée française) et enfin, Eiffel l’utilise pour ses premiers essais aérodynamiques. C’est à cette époque que les frères Wright créent leurs premiers planeurs et avions à moteurs. Eiffel est fasciné et désire comprendre les lois aérodynamiques qui régissent le déplacement d’un corps dans l’air. Il conçoit alors un appareil de chute.
Cet appareil fort ingénieux tombe en chute libre depuis le deuxième étage de la tour en suivant un câble en acier. Un objet, dont la forme aérodynamique est à évaluer, est fixé à l’appareil. Des dispositifs d’enregistrement sont logés dans les deux cylindres latéraux (déjà une forme d’acquisition de données) et enregistrent les forces qu’exerce l’air sur l’objet en mouvement. Au bout de quelques centaines d’essais, Gustave Eiffel constate qu’il a besoin d’un dispositif plus performant. Il fait donc construire une première chambre de vent au Champ de Mars, juste au pied de la tour. Mais en 1909, Eiffel perd la licence d’exploitation de la tour, doit quitter les lieux, et achète un terrain à un maraîcher, en campagne, rue Boileau à Paris. À 76 ans, il fait construire la soufflerie où nous sommes aujourd’hui et procède à son premier essai en mars 1912, il y a de cela plus de 100 ans. Eiffel a ensuite donné sa soufflerie à l’état français qui s’en est servi pour développer ses avions de guerre. En 1929, le GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) prend la gestion du laboratoire. En 2001, le GIFAS cède la soufflerie au CSTB, le Centre scientifique et technique du bâtiment. La soufflerie n'est peut-être ni moderne, ni très rapide, mais elle est ultra précise. Elle sert actuellement trois secteurs précis : le bâtiment, la ventilation naturelle des édifices et enfin l’industrie automobile.
Ce bâtiment, et tout ce qu’il contient, est classé monument historique et patrimoine. Tout est strictement d’origine, sauf les moteurs électriques qui font tourner le ventilateur et la console qui était devenue dangereuse avec ses couteaux en cuivre permettant de mettre le courant! Les arcs électriques générés étaient, semble-t-il, très impressionnants ! Tout le reste est strictement d’origine, comme Gustave Eiffel l’utilisait jadis ! Le ventilateur à 23 pales en acier, d’un poids de sept tonnes et d’un diamètre de quatre mètres, est d’origine. À une vitesse de rotation maximale de 280 tr/min, il génère un vent de 100 km/h. En fait, ce laboratoire n’est pas une soufflerie, mais un aspirateur. Le ventilateur aspire l’air et génère un vent beaucoup plus stable, le taux de turbulence n’étant que d’un à 2 %. La veine est ouverte, ce qui permet aux ingénieurs de s’approcher de la maquette même si le ventilateur est en marche et que le vent souffle sur la maquette. Par contre, un tel aspirateur nécessite un sas pour accéder à la chambre d’expérience, car quand le ventilateur démarre, il aspire tout l’air et crée une dépression d’environ 50 kg au m2 ! « Nous travaillons, entre autres, pour l’industrie automobile et le sport auto depuis plusieurs dizaines d’années, » nous indique Benoit Blanchard, gérant de la soufflerie. « Porsche est venue sculpter sa légendaire 917 du Mans ici. Audi est venu effectuer beaucoup de travail ici au début des années 80 avec, par exemple, le développement de sa Quattro originale. Depuis, nous travaillons surtout avec Citroën Racing et Peugeot Sport. La Peugeot 905 du Mans, du début des années 90, a été entièrement revue ici en deux mois par Robert Choulet. J’ai d’ailleurs passé plusieurs nuits blanches ici avec Robert! Nous avons aussi travaillé sur l’aérodynamique des Ligier et des Alfa Romeo de Formule 1, » précise-t-il. Blanchard poursuit : « Plus récemment, la Peugeot 206 WRC de rallye a été élaborée ici, de même que la Citroën C4 WRC et certains éléments de la Citroën DS3 de WRC et la Peugeot 908 du Mans. Nous évaluons rarement des voitures complètes, mais nous réalisons surtout des essais aérodynamiques sur des composantes comme des ailerons, des écopes de freins et des entrées d’air. »
Le laboratoire effectue des calculs d’aérodynamique externe. On mesure le torseur des efforts sur une maquette de véhicule et on procède à la réduction des mesures selon les six composantes usuelles : forces de traînée, de portance, forces latérales, moments de lacet, de roulis et de tangage. Les données acquises servent à la mise au point des véhicules (traînée, appuis au sol, stabilité, finesse) par modifications successives de forme, géométrie ou assiette. Blanchard explique en terminant que même si la soufflerie a connu des moments difficiles financièrement, elle est désormais très rentable. « Nous ne sommes que quatre employés à travailler ici à temps plein, incluant un technicien et un maquettiste, précise-t-il. Nous fonctionnons à temps plein et avons plusieurs nouveaux clients. Notre force provient de notre réactivité, notre vaste expérience et notre esprit ouvert, car nous ne sommes pas hyper spécialisés dans un domaine bien précis. Parfois, nous trouvons des solutions fort ingénieuses à des problèmes, ce qui plaît à nos clients. » Gustave Eiffel doit être fier de savoir que son laboratoire aérodynamique tourne à plein régime et aide à créer les bolides du 21e siècle !
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