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Secousses et rescousse au Costa Rica

La beauté du Costa Rica | Photo : M. Crépault
Le meilleur taux d'intérêt
Michel Crépault
Un périple au Costa Rica révèle la robustesse du Mitsubishi RVR, mais également une bonne action.

Pour ce deuxième séjour au Costa Rica, un pays d’Amérique centrale qu’il est impossible de ne pas adorer, j’ai loué une Mitsubishi ASX 4WD. Chez nous, on connaît cet utilitaire sous le patronyme RVR (pour Recreation Vehicle Runner), alors que les Américains l’appellent Outlander Sport.

J’ai choisi l’ASX pour son format compact (similaire aux Subaru Crosstrek et Honda HR-V, entre autres) qui le rend aussi maniable qu’économique, à la pompe et à la location malgré l’inflation prodigieuse qui affecte à peu près tout ce qui se transige sur la planète par les temps qui courent.

Cet ASX/RVR/Outlander Sport est également doté d’une cabine lumineuse et spacieuse, assez en tous les cas pour que deux passagers et un siège de bébé puissent cohabiter sur la banquette arrière.

Si je mentionne un siège de bébé, c’est parce que j’en ai effectivement un qui est derrière moi, vous comprendrez bientôt pourquoi.

J’ai quitté Liberia, la capitale de Guanacaste, l’une des sept provinces du pays, pour gagner Samara, refuge balnéaire au bord du Pacifique. Depuis que j’ai franchi la ville-étape de Nicoya, je traverse des montagnes qui multiplie les lacets, les descentes et les montées. En fait, la route zigzague sans arrêt. Elle peut rendre fou, mais elle peut aussi offrir un grisant slalom à qui aime jouer du volant, non seulement grâce aux défis topographiques mais à cause des véhicules locaux de tout acabit qui viennent corser l’aventure.

Quand ce n’est pas une camionnette antédiluvienne, c’est un tracteur, un autocar, un camion-remorque ou une automobile tout aussi cabossée. Sans oublier les deux roues qui, sous des allures de motos, ont la vélocité d’un scooter asthmatique.

Bref, les routes du Costa Rica sont encombrées de véhicules lents qui, en prime, sont souvent pestilentiels. On passe donc son temps à vouloir les doubler. Amusant, mais risqué. L’étroit ruban d’asphalte (quand il y en a) est à voie unique dans les deux sens avec, au centre, une ligne presque toujours double. Autrement dit, prière de ne pas dépasser, por favor.

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À Rome, on fait comme…
Rares, toutefois, sont les locaux qui se soucient de cette interdiction. On les comprend. Non seulement les cortèges ralentis par un mastodonte agonisant sont fréquents, mais quiconque reste coincé derrière eux meurt d’impatience ou d’asphyxie. N’en déplaise au code routier, il faut agir.

Je passe donc mon temps à frôler les lignes médianes et à m’étirer le cou pour voir au-delà du bouchon. À évaluer mes chances. Surtout mes risques.

Je largue d’un coup quatre ou cinq lambins avant de m’attaquer à la pièce de résistance, un camion-citerne en train de cracher son radiateur.

Je calcule, j’estime puis je me décide. C’est une question de millisecondes. J’écrase le champignon. (Note à moi-même : ne plus jamais porter de sandales en conduite sportive)

La transmission automatique à 6 rapports de l’ASX fait son possible. À cause du rythme saccadé imposé par les freinages soudains, elle ne sait plus parfois à quelle vitesse se vouer. Les quatre cylindres en ligne de 2,0 litres collaborent de tous leurs 148 chevaux. Mais nous sommes loin de la fusée puisque le 0-100 km/h nécessite quelque 10 secondes, alors j’en tiens compte lors des dépassements et même dans les virages, quand je suis absolument certain que personne ne se pointe devant.

La majorité des Ticos – et Ticas, le nom local des Costaricains-e-s –, s’adonnent à cette roulette russe. Les seuls qui hésitent et rongent leur frein, ce sont soit les locaux qui, à contrecœur, admettent qu’ils n’ont pas la motorisation pour s’y risquer, soit les touristes qui, dans leur voiture de location, ignorent encore que franchir une ligne double est l’un des sports nationaux du Costa Rica.

Personnellement, doubler, c’est mon sport national, peu importe le pays où je me trouve. Et en ce moment précis, j’ai bien besoin de cette distraction qui, paradoxalement, exige une concentration de tous les instants. Pour chasser ma tristesse.

 

Mitsubishi ASX
Mitsubishi ASX | Photo : Michel Crépault

 

Le bonheur
Je viens de déposer ma fille unique et mes deux petites-filles à l’aéroport de Liberia. Elles ont passé dix jours avec moi à Samara, au bord de la mer, dans une petite maison située à quelques minutes de la plage.

Dix jours de pur bonheur. Après les séparations forcées causées par la foutue pandémie, les retrouvailles étaient émouvantes. Quand Claire, alors presque 10 ans, est sortie de l’aéroport, quand je l’ai serrée dans mes bras, que je lui ai demandé si elle était contente d’être au Costa Rica et qu’elle m’a répondu. « Sure, kind of » (ma fille a déménagé dans le Maine et sa tribu parle surtout anglais), ma joie anticipée n’a pas vacillé d’un millimètre. Tout adulte un tant soit peu mature sait qu’on ne doit pas prendre à la lettre les commentaires d’une boule d’hormones qui flirte avec l’adolescence.

Sa sœur Zoé, 3 ans, est grimpée à califourchon sur la valise à roulettes que je tire, le haut de son corps retenu par la poignée extensible. Sa tête sur ses bras croisés dodeline avec chaque secousse du trottoir qui mène au stationnement.

Nos 10 jours de retrouvailles ont filé à la vitesse de l’éclair.

J’ai revu l’aéroport de Liberia beaucoup trop rapidement à mon goût. Les au revoir n’ont pas l’habitude de m’arracher des larmes, mais, cette fois, mes yeux se sont embrouillés, ma gorge s’est serrée. Je n’avais pas envie de les laisser partir.

Le visage renfrogné de Claire au petit matin allait me manquer. Il suffisait d’ailleurs de lui demander « Veux-tu des crêpes pour déjeuner ? » pour aussitôt voir son sourire émerger. Grand-papa était prêt à lui confectionner autant de crêpes que nécessaire pour avoir la joie d’apercevoir, ne serait-ce que deux secondes, ce sourire aussi angélique qu’intéressé.

Le sirop d’érable que j’avais pris soin d’emporter dans mes bagages s’est avéré l’idée du siècle.

Voilà pourquoi, ma Mitsubishi et moi attaquons les esses montagneuses avec tant d’audace. Mieux vaut conduire avec tous mes sens en alerte que de m’apitoyer sur mon sort. Ça change les idées.

Plusieurs petits ponts ponctuent la route. Une extrémité a toujours droit de passage mais pas l’autre parce que le tablier n’est pas assez large pour laisser passer deux véhicules en même temps. Quand les arrêts obligatoires sont de mon côté, je regarde malgré tout au-delà du pont. Si je ne vois personne, je fonce. Il arrive toutefois qu’une voiture surgisse à la dernière seconde à contre-sens.

Peu importe qui se faufile en premier, personne n’échange de coups de klaxon ou de regards furibonds. Les Ticos aiment autant ce jeu que moi. C’est d’ailleurs à force de les observer que j’ai compris que, ici, les lignes doubles ne sont qu’une vague suggestion.

J’arrive enfin à l’entrée de Samara. La route isolée se transforme en une artère inondée d’activités. Pas un mètre carré qui ne soit occupé par un commerce. Les voitures, les motos et les VTT sont garés comme ils le peuvent. Le gabarit convivial de l’ASX, qui a déjà fait ses preuves dans ces rues bondées, est parfait pour s’approprier un espace de stationnement qui rebute les véhicules plus gros.

Les étals débordent de souvenirs, de fruits et de planches de surf. Au milieu du capharnaüm s’agitent des touristes dont on peut estimer la date d’arrivée selon leur épiderme plus ou moins hâlé.

Un cornet de crème glacée à la main, plusieurs se demandent comment traverser cette marée automobile qui, bien que ralentie (personne ne veut écrabouiller personne), ne s’arrête surtout pas pour un piéton. Un plan pour se faire tamponner le cul par les locaux qui considèrent déplacé (dixit eux-mêmes) ce geste qu’on trouve courtois (et prudent) ailleurs.

 

Mes trois perles
Mes trois perles | Photo : Michel Crépault

 

Une bonne action
En tournant sur le chemin de gravelle qui mène jusqu’à la villa (louée elle aussi), je remarque du coin de l’œil deux jeunes filles aux cheveux très noirs et leurs deux pouces tendus. L’une d’elles tient un bébé. Elles sont devant l’arrêt d’autobus, mais tentent leur chance. Au cas où un bon Samaritain passerait à Samara...

Je le sais, j’ai la fibre familiale sensible comme une plaie ouverte. Je viens d’abandonner mes oisillons alors que j’aurais aimé qu’ils s’agrippent à ma branche un peu plus longtemps. Ou est-ce parce que le siège de bébé est toujours harnaché sur la banquette arrière ?

Toujours est-il que je me range sur le côté du chemin. En un éclair, l’une des filles ouvre la portière et cale l’enfant dans le siège. Puis elle contourne l’auto et s’installe près du bambin.

Son amie s’assoit à mes côtés. Aucune ne fait mine de chercher la ceinture de sécurité. Dans un pays où l’on croise régulièrement des familles de trois ou quatre personnes juchées comme des équilibristes sur un scooter pétaradant, ça ne me surprend guère.

La conversation s’avère laborieuse. Je ne connais que cinq ou six mots d’espagnol et je les prononce mal. J’ai toujours pensé que les gens qui chantent juste ont une plus grande facilité avec les langues étrangères et vous ne souhaitez pas m’entendre chanter.

La maison se trouve à moins d’un kilomètre de là. Qu’est-ce qui m’a pris ? Je ne peux quand même pas balader ces filles pendant une minute pour ensuite leur lancer « Terminus ! Tout le monde descend ! »

De la main droite, je fais signe à mes pouceuses que j’ai l’intention de rouler tout droit. Mais jusqu’où ? Je l’apprends assez vite. Ma voisine de cabine brandit une carte toute neuve du Costa Rica et annonce « Nosara ».

Je connais le nom. C’est celui d’une ville (ou peut-être un village ?) au nord du pays, sur la côte Pacifique, tout comme Samara. Je sais aussi que ce n’est pas vraiment à la porte et que le chemin pour s’y rendre n’est sûrement pas de tout repos.

La route entre l’aéroport de Liberia et Samara est peut-être achalandée et louvoyante mais, au moins, elle est asphaltée. Pas les routes secondaires. Même les rares sections pavées sont trouées comme du gruyère. Des cratères lunaires partout. D’où le gros bon sens de sélectionner un véhicule à garde au sol élevée et à traction intégrale comme mon RVR latino.

Je reconnais aussi que j’ai le goût de faire une bonne action. Sans doute une nouvelle stratégie pour chasser le cafard qui m’alourdit le cœur.

À quelque distance de nous, deux jeunes Ticos discutent près d’un scooter. Je roule l’ASX jusqu’à eux. Je baisse la glace côté passager en espérant qu’ils comprennent un peu l’anglais. Gardons ça simple : « Hola ! Nosara, that way ? » en pointant d’une main vers la direction escomptée.

« Si », répondent-ils en chœur.
Ça augure bien!
« How far? How many kilometers? »
Le premier hausse les épaules, mais traduit pour son ami qui lui répond en espagnol. Je crois avoir compris (vive les similarités entre les langues d’origine romane !) : ça sonne comme 35 ?

Pour être sûr, j’écarquille trois fois mes deux mains puis seulement la droite. Le gars m’imite et confirme « Si. Treinta y cinco. »

Je m’en doutais, ce n’est pas à la porte. Mais il fait si beau. Le ciel est d’un bleu aveuglant. La chaleur à l’extérieur est cuisante, mais la Mitsubishi est climatisée. Et il y a la radio. Et un lecteur CD. Un port USB. Des sièges confortables. Que demander de plus ?

Et puis, il n’est pas encore 14h00. Même si la route est mauvaise, même si je me perds, il faudrait que je sois très malchanceux (une crevaison) ou très désorienté, ou les deux à la fois pour ne pas être de retour à Samara avant le coucher du soleil.

Le temps de l’échange avec les deux garçons, j’ai remarqué que la fille à mes côtés a levé la carte routière de façon à cacher son visage. Cherchait-elle à se protéger du soleil ? J’ai pourtant pris soin de m’arrêter à l’ombre d’un gros arbre. À moins qu’elle souhaite ne pas être reconnue. De toute façon, peu importe, ma décision est prise.

Quoique, juste au cas où, une petite vérification s’impose. J’emprunte à ma passagère sa carte routière. Je trouve Nosara. Yep, au bord de la mer, comme je le soupçonnais.
Allez, vamonos !


Ben voyons donc !
J’essaie d’engager un semblant de discussion avec mes passagères. Ma voisine m’explique en quelques mots d’anglais plus ou moins torturés qu’elles viennent du Nicaragua, le pays qui jouxte le Costa Rica au nord.
« From Managua », ajoute l’autre à partir de la banquette.
« Walking. Five days », précise son amie.
Hein ! Pas vrai ! Vous avez marché pendant cinq jours avec un bébé !
Mon visage doit mieux communiquer mon émotion que n’importe quel traducteur. La fille opine du bonnet, tristement, comme pour me faire comprendre « Hé oui, c’est comme ça… »

Oh, les images qui se bousculent dans ma tête !

Des Africains essayant de traverser la Méditerranée dans des bateaux gonflables surpeuplés. La photo d’un bébé noyé, rejeté sur le rivage comme un bout de bois. Tous ces gens opprimés, persécutés, qui fuient la guerre, les dictateurs, les marchands d’armes, la famine, la pauvreté, l’horreur.

Et voilà que j’ai dans ma voiture climatisée trois êtres humains qui ont tout abandonné dans l’espoir de trouver un monde meilleur.

Je me joue mentalement ce dramatique diaporama quand la fille derrière fait apparaître à côté de mon visage un biberon. Vide. Des traces de lait au fond.
« No milk for the baby »
Je me retourne. Je regarde le baby. Un beau petit garçon potelé à la chevelure noire et épaisse comme celle de sa mère. Depuis combien de temps n’a-t-il pas eu de lait ? Malgré tout, il trouve la force de me sourire. Brave p’tit gars. Courageux comme sa mère!

Sur le chemin du retour, après l’aéroport, je m’étais arrêté pour acheter un sac de croustilles et des roulés au caramel. Quand les filles ont embarqué dans l’auto, j’ai subrepticement fait disparaître ces délices sous mon siège. Là, je m’empresse de les attraper et de les offrir. Elles se garochent dessus. Pendant les prochaines minutes, seule la mastication des chips rythme le voyage. Même l’enfant participe. Je suis un peu soulagé.

Comme prévu, les nids-de-poule sont innombrables et effrayants. Par grands bouts, il y a davantage de trous que de chaussée. Heureusement, sur plusieurs kilomètres, une Corolla déglinguée nous précède. Le conducteur connaît visiblement bien ce parcours du combattant. J’imite tous ses mouvements avec l’ASX qui, elle-même, n’a pas à rougir de sa direction obéissante et de sa suspension capable d’en prendre.

Entre trois crevasses et deux bouchées de gâteau, les filles lâchent d’autres bribes d’informations. Elles cherchent à rejoindre des membres de leur famille.

Voilà une bonne nouvelle. Au moins, elles ne sont pas seules au monde. La famille en question habite à Limon. La fille pointe sur la carte un point que je distingue mal à cause des secousses perpétuelles de l’auto. Mais je saisis que ça se trouve sur la côte des Caraïbes et qu’elles devront traverser le pays de part en part, d’ouest en est. Toute une odyssée en vue !

Elles ne vont quand même pas marcher… Comme si elle avait lu dans mes pensées, la fille dit « Nosara, bus. »
Ah bon, c’est mieux. Elles vont prendre un autobus.
« Three busses » précise-t-elle.
Bon, trois, c’est plus compliqué, mais c’est quand même jouable. C’est toujours mieux que marcher…
« No money. »
Oh boy ! Évidemment qu’elles n’ont pas d’argent. Elles n’en ont même pas pour remplir le biberon. Elles ne sont pas sorties de l’auberge. Que faire, bon Dieu, que faire ?
« How much is the bus? » que je demande.
« Hundred dollars. »
Cent dollars!
« Per person. »
Par personne !
Mais, ça n’a aucun bon sens ! Limon peut bien être à des kilomètres (je vérifierai plus tard sur Internet : 400 km), c’est impossible qu’un billet d’autocar coûte 100$ par personne ! Pas ici, au Costa Rica !
« US dollars ? », que je demande, comme pour rajouter au surréalisme de la situation.
« Si »
Taba…

 

Claire
Claire | Photo : Michel Crépault

Mais que vont-elles devenir ? Et en quoi est-ce que mon lift leur rendra service si c’est pour ensuite les clouer à Nosara ?

Mais non, que je me dis pour m’encourager, elles sont débrouillardes. Regarde ! Tu les as bien embarquées, toi, un gringo qui ne connait pas le pays. Elles réussiront sûrement à trouver une autre âme charitable. Ou plusieurs.

À moins de me métamorphoser sur-le-champ en mère Teresa, je me vois mal aller plus loin que Nosara. Je devrai les débarquer et les laisser affronter leur destin. Elles pourront peut-être faire du pouce jusqu’à Limon…

Qu’est-ce que j’ai sur moi ? Un tas de monnaie dans l’accoudoir central du Mitsubishi. Peut-être l’équivalent de cinq ou six dollars. Dans mes poches ? Je dirais 15 000 colonnes, peut-être un peu plus. Environ 30$ canadiens. C’est sûr que je vais leur en faire cadeau.

Chemin faisant, je suis perdu dans mes pensées, mais pas au point de ne pas accoster un paysan coiffé d’un chapeau de paille qui chemine sur la route jaune. Je tiens à vérifier si je suis dans la bonne direction. Si, tout va bien, Nosara est tout droit.

Cette fois, ma passagère n’a pas caché son visage derrière la carte routière. Peut-être d’ailleurs était-ce seulement mon imagination. D’un autre côté, si elles sont entrées illégalement au Costa Rica, il vaut sans doute mieux qu’elles ne se fassent pas trop remarquer.

Moi, au contraire, je ne suis pas contre l’idée que des Costaricains nous voient tous ensemble. Car malgré mon fervent désir d’être élu le touriste du mois, je ne peux pas m’empêcher de me demander si je n’ai pas ramassé deux mantes religieuses ? Si le bébé n’est qu’une ruse ?

Oui, je sais, c’est terrible de penser comme ça alors qu’il y a trois secondes je me demandais si j’avais en moi ce qu’il faut pour me faire canoniser. Mais ce n’est pas ma faute. C’est celle d’Hollywood et du téléjournal.

Enfin, j’arrive sain et sauf à Nosara.

Kafédepali
Un autre site de villégiature typique du littoral ouest du Costa Rica. Des touristes en gougounes. Des nez brûlés. Des stands. Des classes de yoga. Des buildings en construction aux codes de sécurité inexistants. Tout va bien.

Les filles m’ont expliqué que l’arrêt d’autobus se trouve devant le « kafédepali ». Je les fais répéter trois fois et je ne comprends pas plus. Mais même au son, ça doit se trouver.

Mon ASX couvert de poussière slalome entre les vacanciers. Je décide de questionner un indigène. Je choisis un type en short et pieds nus accroupi dans le stationnement d’une école de surf. Si lui-même n’est pas un surfer, Nick Suzuki n’est pas la meilleure chose qui pouvait arriver au Canadien de Montréal. Et il doit parler anglais.  De fait, il le parle très bien.
« Hola ! J’ai deux filles et un bébé avec moi qui cherchent à prendre l’autobus pour Limon. Est-ce que tu saurais où se trouve la gare ? »
« Limon ! Hum, c’est loin ça, fait le jeune homme. Mais, oui, je sais. L’arrêt d’autobus est en face du Café de Paris. »
Ha ! Le « kafedepali » ! Eurêka !
« Oui, c’est ça, le Café de Paris ! que je répète tout joyeux. Comment je m’y rends ? »
Avec force gentillesse, le surfer m’explique. Ça semble simple et, ma foi, pas trop loin. C’est exactement ce que je déclare aux filles en me glissant triomphalement derrière le volant. « It’s not far from here. »
« Yes. We saw it. »
Je prends deux secondes pour absorber la nouvelle. Elles ont vu l’arrêt d’autobus et elles n’ont rien dit ? J’en déduis qu’elles apprécient beaucoup l’air climatisé de l’auto. Elles n’ont sûrement pas envie de se retrouver à la rue trop vite.

Je rebrousse chemin et nous dénichons ledit Café de Paris en quelques minutes. Nous sommes effectivement passés devant. Je me stationne. J’ouvre l’accoudoir central.

 

Mitsubishi ASX
Mitsubishi ASX | Photo : Michel Crépault

J’attrape le petit bac de plastique amovible qui déborde de monnaie. Je fais signe à ma passagère de me tendre les mains. Elle en avance une.
Non, les deux stp…
Elle colle ses deux mains. Je déverse. Des pièces tombent. Je les ramasse et les place au-dessus de la pile. Pendant que la fille fait disparaître le change dans son sac à main, je fouille dans mes poches. J’attrape ma liasse de billets froissés et je la lui donne.
Elles me disent toutes les deux gracias mais, à dire vrai, elles murmurent leur remerciement. Je sens comme une déception dans l’air. La bouche dit merci mais les yeux boudent un peu.

Je comprends. Les billets d’autobus coûtent une fortune et me voilà en train de leur donner des pinottes. Mais, c’est tout ce que j’ai et, non, je n’irai pas jusqu’à Limon, je ne me farcirais pas six ou sept heures de route (en réalité, neuf). Là, pour être franc et égoïste, j’ai juste envie d’être de retour chez moi pour aller me reposer de mes aventures à la plage de Samara.

Elles sortent. La mère attrape son petit garçon. J’envoie la main. Elles sourient. Juste un peu. Je repars.

Je refais en sens inverse le pénible chemin. Les mêmes ornières. La Mitsubishi ne bronche pas plus que la première fois – vraiment, j’ai fait un bon choix – mais elle doit avoir hâte comme moi de relaxer ses amortisseurs.

Les mêmes questions m’accompagnent. Que pouvais-je faire de plus ? Mais le soleil ardent s’ingénie à liquéfier mes doutes. Et puis, tiens, c’est drôle, cette prise de conscience sur l’état du monde en général a un peu gommé ma première tristesse.

J’ai remplacé temporairement l’absence de ma famille par une autre, et j’ai comparé mon infortune à celle autrement plus grave de ces Nicaraguayennes. Je me suis consolé.

Une balade surprenante
Le lendemain, un courriel de ma fille me confirme que le retour s’est passé sans souci, que mes trois perles sont de retour dans la neige.
Merci, papa, pour ces belles vacances !
Bienvenue, ma chérie. Si tu savais comme vous avez enchanté mon séjour.
J’ai le cœur plus léger.
Je repense à mes Nicaraguayennes et je leur souhaite mentalement encore une fois la meilleure des chances.
Bon, direction la plage. Comment s’en lasser ?
Je laisse la Mitsubishi ASX 4WD tranquille. C’est sa récompense pour avoir survécu à notre rodéo. Mais comme mon postérieur réclame sa dose de secousses quotidiennes, je décide de pédaler le long du littoral de Cangrejal jusqu’aux confins de Samara. Le croissant au complet doit bien compter trois kilomètres.

La marée très basse laisse derrière elle un sable presque noir, mouillé et dur. Une surface idéale pour les gros pneus de mon rustre, mais robuste vélo. Le vent de face ne me dérange même pas puisque je sais que je l’aurai dans le dos tantôt. Juste retour du balancier.

La mer est émaillée de baigneurs. Des familles. Des touristes. Des locaux. Des enfants. Des amoureux. Je regarde tous ces gens avec du contentement au fond des prunelles.

Tout le monde s’amuse. Comme ces deux filles qui rigolent en faisant des selfies. Pendant qu’un petit garçon joue dans le sable.
Mais…
Je me rapproche tout doucement à vélo.
La fille qui boudait le plus dans l’auto, c’est elle. Elle a défait ses cheveux, qui dansent maintenant sur ses épaules brunes. Son amie a la même coiffure qu’hier.
Elles ne me prêtent aucune attention, elles s’amusent ferme pendant que le garçonnet pousse un tracteur de plastique dans le sable.
Acheté avec mes colonnes ?
Je m’éloigne furtivement sur mon gros bicycle… et j’éclate de rire.
Je crois que je me suis fait plumer. Ce qui expliquerait pourquoi la fille cachait son visage quand je parlais à des gens de Samara. Peut-être traîne-t-elle une réputation ?
Mais je tranche illico que ça n’enlève rien à ma « bonne action ». Et que toutes mes pensées sur la misère humaine, sur la chance des uns et la malchance des autres, méritaient mes considérations philosophiques aussi cahoteuses que les chemins du Costa Rica.

Après tout, n’est-ce pas l’intention qui compte ?

PS : De retour à la maison, une vérification sur Internet m’apprend qu’un billet d’autobus pour Limon au départ de Nosara coûte 10$.

La route au Costa Rica
La route au Costa Rica | Photo : Michel Crépault
La route au Costa Rica
La route au Costa Rica | Photo : Michel Crépault
Samara sur la plage
Samara sur la plage | Photo : Michel Crépault
Ce vieux Nissan Frontier roule encore
Ce vieux Nissan Frontier roule encore | Photo : Michel Crépault
La plage après le coucher du soleil
La plage après le coucher du soleil | Photo : Michel Crépault
Michel Crépault
Michel Crépault
Expert automobile
  • Plus de 45 ans d'expérience en tant que journaliste automobile
  • Plus de 12 essais réalisés au cours de la dernière année
  • Participation à plus de 190 lancements de nouveaux véhicules en carrière en présence des spécialistes techniques de la marque