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Un ingénieur Penske raconte l'essai d'une IndyCar effectué par Ayrton Senna

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Khatir Soltani
Au fil des ans, on a lu plusieurs histoires à propos du jour où Ayrton Senna a essayé une monoplace de série IndyCar de l'écurie Penske. Mais à peu près personne n'avait encore discuté avec celui qui fut son ingénieur d'exploitation ce jour-là.

Auto123.com a récemment parlé avec cette personne, Nigel Beresford, ancien ingénieur chez Penske Racing, à propos de cette journée bien spéciale.

Ayrton Senna
Ayrton Senna (Photo: WRI2)

« Les gens affirment qu'on ne doit pas rencontrer ses héros, mais ceux que j'ai rencontrés, comme Ayrton Senna, Rick Mears et Roger Penske, ne m'ont pas déçus. Senna ne m'a pas du tout déçu, aucunement. Il était tout simplement incroyablement rapide », de dire Beresford depuis chez lui en Grande-Bretagne où il réside maintenant.

« Selon moi, Senna était extraordinairement charismatique et énigmatique. Il était capable de hausser ses performances à un niveau inatteignable des autres pilotes, et surtout lors des qualifications », de raconter Beresford.

Senna venait donc de terminer la saison 1992 de Formule 1 avec McLaren et analysait les offres qu'il avait sur la table. Quant à Beresford, il avait quitté l'écurie Tyrrell de F1 une année auparavant et était l'ingénieur de Paul Tracy en Indy chez Penske.

L'histoire se déroule en décembre 1992, juste avant Noël.

Senna durant son essai, entouré des membres de l'écurie Penske. (Photo originale: Jonathan Exley)

« Nous devions effectuer, durant trois jours, les premiers essais de la nouvelle Penske PC22 sur la piste de Firebird ouest, un petit circuit routier de juste 1,77km qui est réellement une piste Mickey Mouse. Puis, on allait effectuer deux autres journées sur l'ovale de Phoenix International Raceway. Nous disposions d'une Penske de 1992 pour effectuer des comparatifs », poursuit l'ingénieur.

Quelques jours avant l'essai, un accord a été trouvé par l'intermédiaire d'Emerson Fittipaldi pour que Senna pilote la voiture de 92. « Cela s'est fait à la dernière minute », de préciser Beresford.

« Senna est arrivé à Firebird seul avec John Hogan de Marlboro. Pour moi, ce fut un contraste étonnant entre la splendeur du Grand Prix de F1 d'Australie, la dernière fois que je l'avais vu, et ce petit circuit perdu au milieu de nulle part dans le désert ! Le voir dans cet environnement isolé était réellement surréaliste », d'avouer Beresford.

« Emerson a d'abord conduit la Penske 92. Il faisait froid et la piste était sale. Il a effectué un tête-à-queue avec les pneus froids, mais a trouvé la voiture bien équilibrée. Elle manquait simplement d'adhérence. Il a toutefois bloqué les roues avant lors d'un freinage. Il est rentré aux puits et on a changé les pneus. On a aussi changé la répartition du freinage vers l'arrière. Emmo a effectué un run de 12 tours, puis un autre de 13 tours, établissant, à deux reprises, son meilleur chrono en 49,70 secondes », de nous raconter Beresford.

L'auteur en compagnie de Nigel Beresford lors du Grand Prix de Belle-Isle à Detroit. (Photo: Philippe Champoux)

Après une courte pause, Senna s'est glissé dans l'étroit cockpit de la Penske.

« Normalement, les pilotes de F1 se mettent très vite en action. Mais Ayrton a effectué quelques tours très lents au début, et ce fut une grosse surprise. Cette voiture Indy était équipée d'une boîte de vitesses manuelle séquentielle. Sa McLaren de F1 étant munie de palettes au volant, il devait se réhabituer à changer de vitesses avec sa main droite. Et parfois, il ne savait plus sur quel rapport il était. Alors il immobilisait la voiture, retrouvait la première vitesse et il repartait.

Senna devait aussi se réhabituer à une pédale d'embrayage, un moteur turbo et des freins en acier.

Après une première série de 14 tours, il est revenu aux puits.

« Il m'a indiqué que le moteur était très souple, mais qu'à cause de son poids élevé, la Penske était moins maniable qu'une F1. Il a ajouté ne pas bien savoir le régime moteur utilisé, car sa sonorité lui était inconnue. Le tracé de Firebird possédait un virage moyennement rapide, et Senna commençait à pousser la voiture dans cette courbe. Il m'a dit pouvoir bien sentir le poids de la monoplace à cet endroit. Mais il ne voulait pas franchir la limite. Ce n'était ni le moment, ni l'endroit pour le faire. Il voulait toutefois vérifier la sensibilité de la voiture aux changements de réglages. Nous avons donc installé des ressorts plus souples à l'arrière et déconnecté la barre antiroulis », de nous dire Beresford.

Rick Mears aux commandes de la Penske 1992 à Indianapolis. (Photo: IMS)

Senna a effectué un autre run de 10 tours avec les mêmes pneus et a arrêté le chrono à 49,09 secondes.

Il est revenu dans les puits et il m'a dit « Merci beaucoup. J'ai appris ce que je voulais savoir ». Puis, il a dégrafé son harnais et a sauté hors de la voiture. Il avait terminé.

Nous avons demandé à Nigel Beresford ce qu'était le sens de cette phrase de Senna. « Je crois qu'il voulait comprendre la différence entre une voiture de F1 et une IndyCar, rien de plus », de répondre l'ingénieur.

« Au volant de la Penske 92, Fittipaldi a réalisé un chrono de 49,70 en comparaison à 49,09 pour Senna », de conclure Beresford.

« À la fin de la journée, Emerson a réalisé un temps de 48,5 secondes avec la nouvelle Penske, ce qui n'était que 0,6 seconde plus vite que Senna. Ayrton a donc réalisé une brillante performance, considérant qu'il pilotait une voiture d'un an chaussée de pneus usés. Pour moi, cela prouve que Senna était capable de s'adapter extraordinairement vite à un nouvel environnement et qu'il pouvait signer des chronos très compétitifs face à une référence sérieuse, en l’occurrence, Emerson Fittipaldi », de terminer Nigel Beresford.


Khatir Soltani
Khatir Soltani
Expert automobile
  • Plus de 6 ans d'expérience en tant qu’essayiste automobile
  • Plus de 50 essais réalisés au cours de la dernière année
  • Participation à des discussions avec la quasi-totalité des manufacturiers au Canada